Faut-il lui faire sauter une classe ?

Ma fille sait déjà lire alors qu’elle rentre au CP. Elle semble beaucoup plus mâture que ses petits camarades et nous dit chaque soir qu’elle connaît déjà ce qu’on lui apprend à l’école. J’ai peur qu’elle s’ennuie. Faut-il qu’elle saute une classe ?

Sophie, Marseille

La compétition scolaire et la course à l’excellence font rage dès la maternelle. Dans ce contexte, il arrive que des parents poussent leurs enfants à sauter une classe dès lors qu’ils semblent en avance sur le programme. Pas forcément une bonne idée ! Cependant il est également parfois tout à fait légitime qu’un enfant précoce saute une classe pour qu’il ne prenne pas le risque de perdre tout intérêt pour l’apprentissage scolaire et reçoive un enseignement qui corresponde véritablement à ses compétences intellectuelles. La majorité des sauts de classe ont lieu entre la deuxième section de maternelle et le CM2. A partir du collège, c’est souvent trop tard pour être bénéfique. Nos conseils pour prendre la bonne décision.

Une excellence scolaire sans travail à la maison

Votre enfant sait déjà lire quand les autres déchiffrent à peine les lettres. Il fait des multiplications quand le programme de sa classe n’en est qu’aux additions. Il connaît le nom des pays de l’Union européenne quand d’autres ne savent pas mettre Paris sur la carte de France… C’est très bien. Mais vous devez vous demander si vous, ou un adulte de son entourage, ne l’a pas poussé à acquérir cette avance (une grande soeur qui lui a appris à lire par exemple) et s’il a dû travailler le soir après l’école pour développer ses connaissances. Si c’est le cas, alors mieux vaut qu’il reste dans son niveau où il continuera d’exceller. En effet, la psychologue et psychanalyste Monique explique : “L’excellence scolaire sans effort est la condition sine qua non pour sauter une classe. L’enfant doit parfaitement maîtriser ce qui est enseigné sans fournir de travail à la maison. Si ce n’est pas le cas, il risque de ne pas tenir le rythme dans la classe supérieure et de devenir un élève moyen, voire en difficulté. »

Le plus sage toutefois, avant d’envisager un saut de classe, est de lui faire passer un test de QI ou de développement intellectuel chez un psychologue de l’enfance pour mesurer son potentiel de progression. Le psychologue de l’enfance Jean-Charles Terrassier, fondateur en 1971 de l’Association nationale pour les enfants intellectuellement précoces (ANPEIP), explique son déroulement : « Celui-ci dure un peu plus d’une heure. Il est composé de dix épreuves qui mesurent ses aptitudes et ses compétences intellectuelles : capacité d’abstraction, de raisonnement, richesse du vocabulaire, rapidité de réalisation… Le psychologue rédige ensuite un rapport qui permet de mieux comprendre le profil intellectuel de l’enfant et de décider si sauter une classe est pertinent dans son parcours scolaire. »

 

Maturité scolaire et maturité psychique

Un enfant peut très bien être un petit génie des maths mais faire preuve d’immaturité dans ses relations avec les autres. Ce décalage entre maturité intellectuelle et affective est bien sûr à prendre en compte avant d’envisager un saut de classe : la vie d’un élève ne se réduit pas à ses notes. Laurène a sauté la classe de CP : elle se souvient des difficultés qu’elle a dès lors rencontrées dans ses rapports avec ses camarades. « Je suis rentrée directement en CE1 parce que je savais déjà lire et compter. Du point de vue scolaire, ça s’est bien passé : je suis restée parmi les meilleurs élèves. Mais, d’un point affectif, j’ai souffert. Toute ma scolarité, j’ai été le bébé inadapté de la classe, la plus petite en taille, celle qui ne comprenait rien aux rapports avec les garçons, celle qui a eu sa puberté après toutes les autres… Ce n’était pas une position confortable. Aujourd’hui je pense que j’aurais été plus épanouie dans mon année. »

En matière de maturité psychique dès le plus jeune âge, Jean-Charles Terrassier conseille aux parents de surveiller la qualité de la graphie de l’enfant : « Un enfant de cinq ans peut très bien savoir lire et compter sans pour autant être à l’aise avec dans le tracé de l’écriture, qui dépend d’une autre facette de l’intelligence. Si on le fait directement passer de la moyenne section au CP, il risque de se retrouver en difficulté. »

Une décision collective prise en accord avec l’enfant

En général, ce sont les enseignants qui proposent le saut de classe, plutôt que les parents. Dans tous les cas, cependant, il est nécessaire qu’il y ait entente entre les deux parties pour que l’enfant tire profit de ce bouleversement qui va influer sur son parcours scolaire. « L’enfant doit se sentir compris et soutenu par les adultes, et non déchiré entre des désirs contradictoires, explique la psychanalyste. Si l’accord des enseignants et des parents est indispensable, celui de l’enfant l’est tout autant. Il faut en discuter avec lui et ne surtout pas le forcer : la décision finale doit lui revenir. »

Les parents doivent garder à l’esprit que le but n’est pas une gratification narcissique mais le bien-être de leur enfant. Claude, mère de deux fils précoces, raconte : « Mon aîné a sauté le CE1. Alors que jusqu’alors il était un élève doué et motivé, il s’est mis à s’ennuyer et à avoir un comportement déplorable. Il s’ennuyait en CP. C’est à ce moment-là qu’avec sa maîtresse nous avons opté pour le faire passer au directement CE2. Il s’y est tout de suite senti à sa place, curieux d’apprendre et excité par la compétition. Quelques années plus tard, mon cadet s’est retrouvé un peu dans la même situation d’avance à l’entrée en école primaire — sans toutefois en souffrir autant. Mais lui a refusé de passer dans la classe supérieure : il avait un très bon ami depuis la maternelle dont il ne voulait pas être séparé. Nous l’avons laissé choisir ses priorités. Sa scolarité se passe très bien. Il est toujours le meilleur de sa classe. »

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